La Syrie a tenté d'acheter du matériel pour ses armes chimiques en Suisse
Des documents obtenus par Wikileaks montrent que le régime d’Assad a contacté une entreprise suisse à trois reprises à l’aide de sociétés écrans. Les USA ont tout fait pour empêcher ces achats.
En septembre 2010, une firme commerciale syrienne a essayé d’acheter une pompe à vide de laboratoire. Mais cette société était en fait l’émanation d’un “centre de recherche scientifique” cachant un institut du gouvernement syrien où des ingénieurs développent des armes chimiques et biologiques, révèle le TagesAnzeiger. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) ayant interdit toute exportation dans ce domaine, en particulier pour la Syrie, l’achat a été interdit.
Une livraison stoppée à Zurich, une autre récupérée à Dubaï
Mais les Syriens n’ont pas baissé les bras, déterminés à acquérir cette pompe «Made in Switzerland», qui coûte 5000 francs. Des laboratoires civils l’utilisent dans les processus de filtration, mais elle peut aussi servir pour expérimenter des armes chimiques. Une société écran basée en Jordanie a cherché à acheter la pompe. Ne s’étant aperçu de rien, le fabricant suisse s’apprêtait à livrer lorsque les autorités fédérales ont obtenu un tuyau d’un «Etat partenaire au titre des mesures de contrôle des exportations», selon la formule du Seco. La Jordanie n’était qu’une étape intermédiaire, la Syrie la destination finale. La livraison a été stoppée avant d’arriver à l’aéroport de Zurich.
La troisième fois, il était trop tard, ou presque. La commande, faite par une société nigériane fictive, a passé avec succès les contrôles suisses. La pompe est arrivée à Dubaï. Où des Syriens l’attendaient de pied ferme. Une fois de plus, un «Etat partenaire» a tuyauté les autorités fédérales. Le Seco a aussitôt menacé cette société nigériane de la placer sur la liste des sociétés responsables de la prolifération des armes chimiques, si elle ne renvoyait pas la pompe. Quelques jours plus tard, un paquet arrivait à Zurich.
L’affaire soulève plusieurs questions, note encore le «Tages Anzeiger». Combien y a-t-il eu de tentatives? Toutes les livraisons ont-elles pu être stoppées? Qui est cet «Etat partenaire» qui semble connaître mieux que Berne les relations d’affaires helvético-syriennes?
Jürgen Böhler, chef de secteur Contrôles à l’exportation/produits industriels au Seco a répondu aux deux premières questions. Les autorités fédérales ont bloqué, depuis 1998, 14 produits d’une valeur de 1,7 millions de francs : des moteurs spéciaux, des bioréacteurs, des machines rotatives. Et le Seco n’a pas connaissance de cas où de la technologie suisse est parvenue à la Syrie.
Qui est cet Etat partenaire?
Quant à savoir qui se cache derrière «l’Etat partenaire », la réponse se trouve dans les documents de Wikileaks. La plateforme qui a révélé en 2011 plus de 250’000 notes rédigés par des diplomates américains. On y apprend notamment comment l’ambassade des Etats-Unis à Berne a transmis discrètement des informations à propos de prestations suisses problématiques en direction de l’Iran ou de la Syrie.
Ainsi, une université syrienne a voulu acheter en 2009 une caméra haute-vitesse de type X-EMA à la société AOS Technologies, basée à Baden. Or l’appareil est utilisé à des fins civiles mais également militaires. «Nous avons contacté le Seco, comme nous le faisons toujours en pareil cas», affirme au «Tagi» Rudolf Hug, président d’AOS. Et là, surprise! «Le Seco savait déjà à propos de la demande et nous a conseillé de ne pas livrer la caméra.» La société a donc suivi la recommandation du Seco mais ce n’est que deux ans plus tard que Rudolf Hug a appris via Wikileaks comment Berne avait eu vent de l’affaire.
Le 1er juillet 2009, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton avait chargé l’ambassade des Etats-Unis à Berne d’informer le gouvernement suisse que la Syrie cherchait à acquérir une caméra auprès de la société AOS pour son programme de missiles. Un jour plus tard, l’ambassade a répondu à Washington que Jürgen Böhler du Seco avait été informé. Et le jour suivant Jürgen Böhler a annoncé à l’ambassade des Etats-Unis à Berne que l’affaire avait été arrêtée. La vente de cameras pour missiles à la Syrie n’a pas eu lieu.