L’éolien en Suisse: beaucoup de subventions mais peu de production
L’éolienne Adonis de Charrat en Valais est l’une des plus productives de Suisse. Crédit: Jonathan Fernandez/DR
Pour promouvoir les énergies renouvelables, la Suisse a mis en place, depuis dix ans, un système de subventions. Mais alors que le photovoltaïque décolle, l’éolien stagne. Eclairage.
Guerre en Ukraine, crise énergétique. Depuis l’automne, on nous a promis le blackout et l’éclairage à la bougie cet hiver. Aujourd’hui, le ton est moins alarmiste mais l’ambition de chaque nation est d’être énergétiquement autonome.
En Suisse, on tente d’accélérer la production indigène. On parle de construire de nouveaux barrages hydroélectriques ou de créer de grands parcs photovoltaïques en montagne. Car en se penchant sur la production énergétique helvète, force est de constater que le pays est encore à la traîne en matière de nouvelles énergies renouvelables. Et que l’éolien ne décolle pas avec seulement 146 GWh produits en 2021 contre 2842 GWh pour le solaire, comme le montre l’infographie suivante.
Des procédures à rallonge
Qui dit éolienne en Suisse dit souvent interminable procédure juridique. Il a fallu ainsi plus de 20 ans pour débloquer la construction, en cours, du parc éolien de Sainte-Croix dans le canton de Vaud. La Suisse est en retard, ses 41 éoliennes produisant à peine 0,2% de la consommation annuelle du pays tandis que nos voisins allemands et autrichiens bâtissent des hélices à tour de bras.
Toutefois ce constat ne doit pas faire oublier l’envers du décor: ce business dépend aussi largement de subventions. Sur la base des statistiques de la Confédération, nous avons pu établir que les 41 éoliennes bâties en Suisse ont perçu 140 millions de francs de subventions alors que les objectifs de la Confédération (7% d’éolien en 2050) sont toujours loin d’être atteints.
Cette carte permet de visualiser le montant des subventions touchées sur 10 ans par les différentes turbines à vent.
Une ruée vers l'or vert
Voici le système: en 2010, la Confédération instaure le principe de la rétribution à prix coûtant, dite RPC. Par le biais d’une taxe sur toutes les factures d’électricité, ce système doit encourager la production d’énergies renouvelables par le versement d’une compensation entre le prix du marché et un prix jugé rentable. Attractif pour le particulier qui veut couvrir son toit de panneaux solaires, ce système est aussi une aubaine pour les industriels qui y voient une manière de sécuriser leur investissement car la Suisse s’est montrée plutôt généreuse en la matière.
Mais cette ruée vers l’or vert a très tôt fait des sceptiques. Martin Pfisterer, directeur du parc éolien du Mont-Crosin sur les crêtes du Jura, le seul à avoir été bâti avant 2010 et l’introduction des subventions, le résumait déjà en 2016 dans une interview au quotidien Le Temps: «Avec les subventions de la RPC, le vent a tourné au niveau national. Il y a eu d’innombrables projets éoliens, partout. La population est devenue sceptique. Je la comprends. L’Etat a commis l’erreur d’avoir d’abord mis l’argent sur la table avant de planifier les sites propices aux éoliennes».
Des turbines très lucratives
Ces effets pervers redoutés se vérifient un peu partout: par exemple, le parc de Gries au col de Nufenen produit bien moins qu’attendu et le canton de Fribourg se déchire sur sa planification éolienne car il a été admis que le vent n’a été qu’un facteur secondaire dans le choix des sites. Quant à savoir pourquoi les actionnaires gardaient leur part dans le parc du Nufenen, la réponse se dessinait dans un reportage de l'émission de la RTS «Temps présent» en décembre 2021: les subventions en valent la chandelle.
La Suisse a besoin d'un mix énergétique. Stéphane Genoud, professeur en management de l’énergie à la HES-SO Valais Wallis
Alors que la Confédération multiplie les mesures pour booster les énergies renouvelables et raccourcir les procédures, l’argent des contribuables est-il correctement investi? Les données que nous avons récoltées permettent de soulever cette question. Par exemple, le parc de Le Peuchapatte avec ses trois éoliennes bâties en 2010 par Alpiq a nécessité un investissement de 20 millions de francs. Alors que son propriétaire estime sa durée de vie à 30 ans, il a déjà perçu 23 millions en subventions depuis dix ans, de quoi rentabiliser l’investissement, d’autant que la subvention est garantie pour 20 ans.
Cela n’a pas échappé aux politiques qui ont plusieurs fois essayé de réformer le système. Après plusieurs reports de délai, il a pris finalement fin le 31 décembre 2022. Mais qu’on ne s’y méprenne pas: cela ne concerne que les nouveaux parcs. Pour toutes les éoliennes en attente, la RPC reste valable et le délai de 20 ans ne commence à courir qu’une fois l’éolienne en service. D’après Pronovo, la société qui enregistre les demandes de subventions, pas moins de 421 hélices bénéficient ainsi d’une garantie de principe. C’est dix fois plus qu’aujourd’hui et au-delà de la question énergétique, il y a donc un important enjeu financier.
Pour aller plus loin:
Vaut-il la peine de développer l'éolien en Suisse compte tenu de la topographie du pays et du potentiel hydroélectrique et photovoltaïque?
L'interview de Stéphane Genoud, professeur en management de l'énergie à la HES-SO Valais Wallis:
Découvrez l'entretien complet ici: