L’alcoolisation aiguë aux urgences
De plus en plus de patients atterrissent dans les hôpitaux en état d’ivresse avancée. Au point que le CHUV a créé une unité de dégrisement.
Ils sont quatre ce samedi matin à occuper les lits de l’unité de dégrisement du CHUV. «Des jeunes arrivés cette nuit séparément, explique l’aide-soignante Sandrine Didier, mais il s’est avéré qu’ils se connaissaient, c’est donc un peu plus compliqué pour nous.»
«J’arrive pas à dormir, c’est impossible, j’arrive pas à dormir, aïe, aïe, aïe», répète en boucle l’un des protagonistes, qui tourne en rond. Les autres restent sagement étendus, dissimulés derrière des rideaux roses. Mais sous observation: le local du personnel offre une vue d’ensemble sur l’unité. «Il en manque un des jeunes, remarque soudain le Dr Pedro Ferreira, où est-il passé ?» «A la salle de bain», répond l’infirmière Yolande Bernard.
Evacuer le taux d’alcoolémie
Le rituel est toujours le même: «le matin, nous descendons aux urgences chercher les patients qui n’ont pas d’autres problèmes physiques, mais juste besoin d’un lit pour évacuer le taux d’alcoolémie», raconte Pedro Ferreira. .
Les patients sont placés sous surveillance médicale et infirmière. «On délivre aussi ce qu’on appelle l’intervention de prévention, qui consiste à creuser un peu autour de la question de l’alcool, de voir s’il y a d’autres problèmes, psychiques, par exemple».
L’infirmière et le médecin chercheront par exemple à établir “s’il y a eu des prises de risques – conduite avec alcool, relations sexuelles non protégées. On leur donne le cas échéant des contacts pour des tests de dépistages ou l’adresse d’associations s’ils sont SDF.»
Les patients restent «jusqu’à ce que le taux d’alcoolémie justifie une sortie, en fonction aussi de leur état général et s’ils sont accompagnés d’une personne. Si leur sécurité est en danger, on les redescend aux urgences.»», explique Yolande Bernard.
Des patients agressifs?
Quand on demande à Yolande Bernard si ce genre de patients peuvent se montrer agressifs, elle s’en amuse presque: «Lorsqu’ils arrivent chez nous, ils sont déjà généralement calmés … Cela fait une trentaine d’années que je travaille en psychiatrie, et en alcoologie depuis 1999, j’aime ce travail, aider ceux qui sont en souffrance, on les respecte, on les accompagne», raconte Yolande Bernard.
Deux profils principaux de patients peuvent être dégagés, résume le Dr Ferreira: «Les jeunes comme ceux qui sont là aujourd’hui, qui sortent dans une soirée, picolent un peu trop et se retrouvent chez nous. Et puis il y a aussi ceux qui ont passé la quarantaine, qui sont chroniques, certains bien connus du service, ce sont des cas plus lourds.»
Les jeunes en général ne font qu’un passage: «Et quand on en revoit un, on insiste vraiment pour qu’il ait un suivi, précise Yolande Bernard, parce que ce n’est pas un hasard qu’un jeune vienne deux fois ici, même si généralement le jeune banalisera la situation.» «Alors que l’alcoolisation aiguë, même si ce n’est qu’une fois, présente de vrais dangers, on peut même en mourir. Nous essayons de les rendre attentifs à ça.
Plus une honte ni un tabou
Les années passées dans le domaine font par ailleurs dire à l’infirmière que l’alcoolisation n’est pas un phénomène forcément en augmentation exponentielle: «La différence, c’est surtout qu’autrefois c’était un tabou, une honte, alors qu’aujourd’hui on se donne le droit de se faire soigner. L’acceptation de la maladie fait que l’on voit davantage de personnes dans nos services.»
Aucun traitement n’est administré en revanche contre le mal dit «de cheveux»: “Il n’existe pas de produit miracle. La gueule de bois, ça doit passer tout seul.» Pas toujours facile. L’aide-soignante Sandrine Didier signale que l’un des patients a réussi «à faire un nœud dans la tubulure de sa perfusion. Du coup, il y a du sang… »
«Ces jeunes ne sont pas là par hasard» Entretien avec le prof. Jean-Bernard Daeppen, chef du service d’alcoologie du CHUV