Shadowland: entre ombre et lumière
La célèbre troupe de danse américaine Pilobolus fera escale en Suisse en février prochain pour son nouveau spectacle Shadowland 2. Migros Magazine est allé à la rencontre de ses créateurs à leur QG du Connecticut.
Mêlant animation, vidéo et théâtre d’ombres, Shadowland 2 combine les genres avec brio
Washington, Connecticut. Ses maisons de bois vernis, ses pelouses taillées façon Wimbledon, ses grosses cylindrées et ses drapeaux américains fièrement exposés sous chaque porche. Avec ses 3500 habitants, la bourgade est un cliché parfait de la campagne américaine. Sauf que la petite ville abrite une troupe de danse qui n’a elle rien de conformiste. Au contraire, elle est réputée à l’international par l’originalité de ses créations.
Cette troupe de danse, c’est Pilobolus, fondée déjà en 1971. Ce soir, l’une de ses équipes présente pour la première fois leur nouveau spectacle, Shadowland 2, dans le magnifique Warner Theater de la voisine de Torrington. Dans les coulisses, la tension est palpable. Car en plus de la population locale, une horde d’une vingtaine de journalistes européens ont été spécialement conviés à l’événement.
La lumière se tamise dans la grande salle et une quinzaine de danseurs entrent en scène en courant sous un air pop entraînant. Comme dans le film Les Temps modernes de Chaplin, ils font voltiger à la chaîne des boîtes dans un décor industriel. Sauf qu’une de ces boîtes retient leurs attentions. L’objet, lumineux, est une portée d’entrée sur un mon imaginaire. Lorsqu’on y glisse la main, son ombre se projette sur le grande toile en arrière-plan.
Le théâtre d’ombres chinoises revisité
Bienvenue dans le monde de Shadowland, que la troupe avait déjà fait découvrir lors d’un précédent spectacle lancé en 2009. Durant tout le spectacle, les figures acrobatiques s’enchaînent sur le devant de la scène. Mais aussi derrière ce tableau blanc, dont on n’apercevra que les ombres et lumières. Un peu comme si les danseurs passaient de l’autre côté du miroir, clin d’œil à l’oeuvre de Lewis Caroll. Le résultat, ce sont des tableaux plein de poésie, où les protagonistes se font tantôt danseurs lorsqu’ils se retrouvent sur le devant de la scène, tantôt marionnettiste à l’instant où ils passent derrière le voile blanc.
Privilège de journaliste, nous avons eu l’occasion lors de la répétition générale de découvrir l’envers du décor. Installé à l’arrière de la scène, un unique projecteur – le «soleil» de Pilobolus, invisible pour le public présent en salle. Devant l’appareil, les danseurs mettent à contribution chaque partie de leur corps, parfois en solo, parfois en se regroupant à plusieurs, pour donner vie à tous les personnages du spectacle. «Plus on se situe proche de la source de lumière, plus l’ombre sera étendue. Un travail d’une extrême précision et de synchronisation est donc nécessaire pour parvenir à ce rendu parfait», indique le directeur exécutif Itamar Kubovy.
Que se passe-t-il de l’autre côté du voile blanc? Réponse en vidéo:
Pour comprendre d’où l’équipe tire toute cette imagination, une visite s’impose dans le quartier général de la troupe à Wahsington (Connecticut), où Pilobolus s’est installé il y a quarante ans. Une petite maison de bois, comme tant d’autres, à deux pas de la forêt. «C’est l’emplacement parfait pour trouver l’inspiration, explique Lily Binns, codirectrice. A écouter la jeune femme, de nombreux artistes ont fui New York – à seulement deux heures de voiture d’ici – pour s’installer dans cet Etat voisin. «Et pas seulement parce que les prix de l’immobilier y sont meilleur marché… Mais pour y retrouver le calme et la nature.»
A l’intérieur, les murs sont couverts de posters récents comme anciens, et représentant les danseurs de Pilobolus dans des figures acrobatiques toutes plus originales les unes que les autres. Car outre son spectacle Shadowland – version tout public de ses créations de danse contemporaine, la troupe est un formidable laboratoire d’idées dont le répertoire compte plus de cent pièces. «Même le spectacle Shadowland 2 est encore en perpétuelle transformation. Et bien que cela fasse déjà plus de deux ans que nous travaillons sur ce projet,» indique Matt Kent, codirecteur artistique et chorégraphe.
C’est peut-être la clé du succès de Pilobolus: laisser suffisamment de temps à l’imagination et à l’expérimentation… «Dans notre atelier, nous essayons librement toutes sortes de mouvements, complète son épouse et associée Renée Jaworski. On découvre alors des postures inédites que l’on décide ensuite d’intégrer ou non dans le spectacle. D’autres fois, on pense à un élément en particulier qui s’intégrerait dans l’histoire que nous voulons compter, par exemple un animal, et on cherche ensuite une façon de le reproduire par nos ombres. C’est en fait très chaotique!»
En photos: le nouveau spectacle Shadowland 2
Libre cours à l’imagination
L’autre ingrédient essentiel, c’est la complète liberté de créer que se réserve la troupe. «Les journalistes cherchent toujours à nous classer dans une certaine catégorie de danse. Cela va complètement à l’encontre de notre philosophie, qui consiste à expérimenter l’entier des possibilités de mouvements que permet le corps humain», indique Matt Ken. La preuve, c’est que nos danseurs proviennent d’horizons artistiques les plus divers: danse moderne, ballet, cirque… «Chacun amène avec lui ses idées, ce qui permet au final de créer des spectacles aussi originaux!»
Au-delà des performance de danse, le spectacle est aussi un récit méticuleusement construit. Une tâche qui n’a pas été confiée à n’importe qui: le responsable du scénario n’est autre que Steven Banks, auteur principal par ailleurs de la saga au succès planétaire Bob l’éponge. «Dès le début du projet, nous savions que nous vouilions présenter une love story», explique-t-il.
Un spectacle à voir et à écouter
Finalement, reste encore à évoquer la bande-son, style pop, qui accompagne tout du long le spectacle. L’œuvre du Californien David Poe, compositeur de la musique et des paroles de toutes les chansons et interprète de certaines «Ecrire pour Pilobolus, c’est très différents de toutes les autres compositions que j’ai déjà effectués pour d’autres d’artistes, confie l’artiste. Parce que dans l’équipe, chaque avis compte. C’est un travail de longue haleine mais qui explique pourquoi ce spectacle de danse est si différent de ce que
l’on a l’habitude de voir ailleurs.»
Le spectacle, remis en question lors de chaque représentation, aura encore énormément évolué au cours de sa nouvelle tournée dès juillet à travers les grandes villes allemandes et autrichiennes. Tant mieux pour nous, la surprise restera intacte lors de son passage prochain en Suisse.
«Shadowland 2» de Pilobolus, à voir à Genève, Théâtre du Léman, du 28 février au 5 mars 2017: du mardi au vendredi à 20 h 30; samedi à 15 h 00 et 20 h 30; dimanche à 15 h 00. Autres dates suisses: le 4 fév. à 20 h à Zurich (Samsung Hall) et le 5 fév. à 18 h à Bâle (Musical Theater).
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